les intrigantes affaires du « baron de la Chaume » en Charente-Maritime
Les drôles de libertés du « baron de la Chaume »
Adepte des boucles WhatsApp pour lancer moult invitations et échanger sur des projets plus séduisants les uns que les autres ou acquérir qui un terrain, qui un bâtiment, le singulier Gabriel Nakhleh souffle le chaud et le froid sur Pont-l’Abbé-d’Arnoult. Les habitants de cette commune de Saintonge romane (1 800 habitants) ont forcément eu affaire, de plus ou moins loin, avec celui qui, début 2022, a racheté aux Assomptionnistes l’ancien séminaire et ses 17 hectares de parc et bois.
Montant de la transaction : 1,1 million d’euros, signée le 24 janvier 2022 par la Société civile immobilière La Chaume, enregistrée auprès du tribunal de commerce de Nice, en juin 2021. La SCI est détenue à parts égales par Gabriel Nakhleh et son épouse Marie Nakhleh, nommée dirigeante de la société.
Gabriel Nakhleh, en 2022, dans l’une des nombreuses pièces du château de la Chaume.
Archives Patricia Mathieu
Le projet était séduisant mais aujourd’hui, ceux qui l’ont côtoyé déchantent : « il a la folie des grandeurs. » Un autre, qui a eu l’occasion de travailler avec lui et a rapidement rompu les liens après avoir exigé des paiements, témoigne : « il met un climat de confiance, promet beaucoup de choses. Il est plein de…
Les drôles de libertés du « baron de la Chaume »
Adepte des boucles WhatsApp pour lancer moult invitations et échanger sur des projets plus séduisants les uns que les autres ou acquérir qui un terrain, qui un bâtiment, le singulier Gabriel Nakhleh souffle le chaud et le froid sur Pont-l’Abbé-d’Arnoult. Les habitants de cette commune de Saintonge romane (1 800 habitants) ont forcément eu affaire, de plus ou moins loin, avec celui qui, début 2022, a racheté aux Assomptionnistes l’ancien séminaire et ses 17 hectares de parc et bois.
Montant de la transaction : 1,1 million d’euros, signée le 24 janvier 2022 par la Société civile immobilière La Chaume, enregistrée auprès du tribunal de commerce de Nice, en juin 2021. La SCI est détenue à parts égales par Gabriel Nakhleh et son épouse Marie Nakhleh, nommée dirigeante de la société.
Gabriel Nakhleh, en 2022, dans l’une des nombreuses pièces du château de la Chaume.
Archives Patricia Mathieu
Le projet était séduisant mais aujourd’hui, ceux qui l’ont côtoyé déchantent : « il a la folie des grandeurs. » Un autre, qui a eu l’occasion de travailler avec lui et a rapidement rompu les liens après avoir exigé des paiements, témoigne : « il met un climat de confiance, promet beaucoup de choses. Il est plein de belles paroles. Mais il est vide. »
Des réceptions sans autorisation
« Retraité de la Marine nationale depuis dix ans » selon ses propos recueillis dans nos colonnes le 4 mars 2022, il promettait alors un renouveau pour l’ancienne maison de repos, vide de ses occupants depuis 2012. L’heureux propriétaire, qui affirmait vivre des royalties de ses 1 200 sites internet et de ses investissements comme « business angel » dans des start-up, annonçait un million d’euros d’investissement pour réaménager le château de la Chaume en soixante chambres, trois gîtes et en une salle de réception.
Foi de Pontilabiens, des travaux, dont le creusement d’une piscine, ont bien eu lieu dès l’acquisition du château, début 2022. Une personne qui a eu l’occasion de mettre les pieds au château parle de « travaux cosmétiques ». Et sitôt l’affaire conclue, une activité commerciale très alléchante s’est affichée sur des sites internet de belle facture mais pas toujours en adéquation avec la réalité de l’ancien séminaire.
Vue aérienne de l’ancien séminaire des Assomptionnistes et de son parc, présente sur des cartes postales.
Reproduction « SO »
Qui est Gabriel Nakhleh ?
Gabriel Nakhleh, 51 ans, amateur de cigares et de vin, a un parcours riche selon les documents disponibles sur le net. Dans les statuts de sa société Luxmarina (études techniques en génie maritime) datée de 2013, il est « ancien directeur adjoint des affaires maritimes des Alpes-Maritimes à Nice, ancien responsable des affaires maritimes de Marennes Oléron et adjoint du directeur régional des affaires maritimes » puis « chef du service des ports départementaux au Conseil général des Alpes-Maritimes ».
En 2020, son nom était cité dans un article du « Point Afrique », dans le cadre d’une affaire d’exportation illégale de bois de rose de Casamance, au Sénégal. Il y était indiqué que « Gabriel Akram Nakhleh, aurait, selon Radio France Internationale, occupé les fonctions de ‘‘premier secrétaire’‘ de la société Westwood », la société mise en cause par la justice gambienne. On apprenait que « M. Nakhleh, après plusieurs années de disponibilité, a été réintégré dans les effectifs du ministère de la Transition écologique et solidaire en février 2019 en tant qu’administrateur des affaires maritimes puis, compte tenu d’éléments liés à une enquête en cours, a été suspendu depuis le 25 octobre 2019 ». Gabriel Nakhleh n’avait pas répondu aux sollicitations des journalistes.
L’exploitation commerciale est assurée par la SAS Chaume Hospitality, présidée par Marie Nakhleh mais c’est bien Gabriel Nakhleh qui est l’interlocuteur privilégié de toutes les personnes rencontrées ces dernières semaines, qu’ils soient voisins, commerçants, chefs d’entreprise.
Les affaires du « baron de la Chaume », comme il se désigne lui-même dans ses mails, souffrent de nombreuses interrogations. L’omniprésence sur les sites internet ne signifie pas autorisation à recevoir du public. Après un premier arrêté retoqué pour vice de forme, un nouvel arrêté « portant interdiction d’exploitation de l’établissement recevant du public Le Château de la Chaume », a été émis le 1er juin 2023. Il est contestable pendant deux mois.
On y lit que la Commission de sécurité, qui devait s’assurer de la conformité du château lors d’une visite le 23 février 2023, « s’est vu refuser l’accès à l’établissement ». Et accessoirement « aucune demande d’autorisation de travaux n’a été déposée en mairie ». Un tel document signifie « fermeture au public à compter de la notification du présent arrêté à l’exploitant ».
Et pourtant, pas plus tard que le dernier week-end de juin, le château de la Chaume a reçu les invités d’un mariage. Si l’on en croit les avis laissés sur Google les 25 et 28 juin, photos à l’appui, les clients étaient ravis de la prestation. Le maire de la commune, Alexandre Schneider, démuni, fait venir les gendarmes chaque week-end pour qu’ils constatent mouvements et bruit au château de la Chaume. Depuis, la mairie a reçu une demande d’autorisation de travaux mais c’est tout.
Contacté, le parquet de Saintes confirme que « le non-respect de cet arrêté est une infraction pénale. On doit donc s’assurer qu’il est respecté, ce qui justifie des contrôles et l’établissement d’une procédure en fonction de ce que les contrôles révèlent. »
« Il fait ce qu’il veut »
Aux premières loges des activités de Gabriel Nakhleh avec qui il partage une entrée commune, Jean-Philippe Bozon. Ce voisin immédiat vit ici depuis quarante-deux ans. À l’entrée, devant le portail commun, deux boîtes aux lettres : celle de la famille Bozon ; l’autre est restée étiquetée au nom de SA St-Loup, du nom de la société à qui appartenait le séminaire. Les chemins et jardinières limitent les propriétés de chacun.
Vue sur le château de la Chaume depuis le jardin de Jean-Philippe Bozon. Entre les deux, la grange transformée en salle de réception.
Séverine Joubert / « SUD OUEST »
En 2016, Jean-Philippe Bozon et son épouse sont devenus propriétaires des dépendances et jardins qu’ils entretiennent depuis des décennies. Quelque temps après l’arrivée de ses nouveaux voisins, Jean-Philippe Bozon a rencontré Marie Nakhleh. Il était rassuré puisque les réceptions devaient se tenir « de l’autre côté » du domaine. L’acquis a été de courte durée : cet accord tacite est tombé en début d’année 2023.
La SAS Chaume Hospitality a en effet entrepris de transformer la grange qui longe leur chemin d’accès en salle de réception et de bal pouvant accueillir 600 personnes. Et ce, sans autorisation, ni déclaration préalable quant au changement de destination du lieu.
Le château de la Chaume a été acheté aux Assomptionnistes en 2022 pour 1,1 million d’euros.
Séverine Joubert / « SUD OUEST »
Depuis Jean-Philippe Bozon nage en pleine incompréhension puisque des invités s’y massent sans que la SAS Chaume Hospitality ne soit inquiétée. Il reçoit les gendarmes régulièrement et a fait constater les travaux par un huissier de justice. Il a fait appel à un avocat pour que le maire, Alexandre Schneider, mette les propriétaires en demeure de fermer le château, conformément à l’arrêté. En vain. « Gabriel Nakhleh fait ce qu’il veut », s’agace Jean-Philippe Bozon.
Une convocation au tribunal
La tension a grimpé d’un cran le 16 juin 2023 et pris une tournure plus grave quand Gabriel Nakhleh a frappé Jean-Philippe Bozon, devant chez lui, en présence d’un salarié qui a tenté d’apaiser la situation, témoigne-t-il. L’altercation s’est déroulée côté grange justement. Le grief ne portait pas sur les travaux et le bruit mais sur une pierre qui avait atterri sur le toit et endommagé une tuile de la maison de Jean-Philippe Bozon. Ce dernier, frappé au visage, a reçu une Incapacité totale de travail de dix jours et a dû se faire opérer à la mâchoire. Gabriel Nakhleh devra s’expliquer le 13 février 2024 devant le tribunal correctionnel de Saintes.
Joint sur trois adresses mails différentes – un des messages a bien été réceptionné – et par texto sur un téléphone portable, Gabriel Nakhleh n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Au camping, des figurines et puis c’est tout
Ambitieux, se vantant d’investir beaucoup pour la commune de Pont-l’Abbé-d’Arnoult, Gabriel Nakhleh s’est aussi intéressé de près au camping municipal. Gagnante, en novembre 2022, de l’appel d’offres pour la gestion du camping du parc de la Garenne de Pont-l’Abbé, la même SAS Chaume Hospitality a finalement perdu la délégation de service public, faute d’avoir réuni les 75 000 euros de cautionnement. Le document fourni était même un faux, a annoncé le maire. Un faux, fourni a priori à l’insu de Chaume Hospitality, qui devait porter plainte contre son courtier.
Le Camping Carnaval, tel que rêvé et annoncé par Gabriel Nakhleh, n’aura jamais ouvert.
Séverine Joubert / « SUD OUEST »
Le Conseil municipal et son maire Alexandre Schneider ont usé de multiples précautions pour aboutir à cette éviction, votée le 23 juin. Et ce, après quantité d’aller-retour sur les garanties financières mais aussi des discussions serrées sur l’accès à la piscine et au terrain de tennis de la commune.
« Camping animal king »
Les questions ne se posent plus même si pendant tout ce temps, les sites internet, toujours eux, laissaient entendre que le camping était ouvert, amenant leur lot de déceptions et de commentaires négatifs.
Fidèle à son style très « proactif », Gabriel Nakhleh avait posé un panneau violet annonçant l’ouverture cet été 2023. Mais dans le camping, rien n’avait bougé à l’exception des figurines du carnaval de Nice que Gabriel Nakhlehl avait fait venir pour le « Camping Carnaval » ainsi rebaptisé. Quid aussi des neuf habitats insolites ? Selon nos informations, la société n’a réglé que 24 000 des 300 000 euros dûs.
À Esnandes, près de La Rochelle, au camping municipal de la Misotte, la SAS Chaume Hospitality a également fait venir des habitats insolites. Dans cette commune de 2 000 habitants, au nord de La Rochelle, les gérants semblent être un peu plus sereins. En février 2023, la municipalité d’Esnandes leur a en tout cas accordé, les yeux fermés, un bail d’une durée de vingt ans. Et comme toujours, le concept de « camping animal king », basé sur le bien-être animal tel qu’annoncé illico presto sur les réseaux sociaux, reste à l’état de… concept.
Sur internet, une ribambelle de sites aux contenus peu convaincants
Gabriel Nakhleh est particulièrement présent sur internet. Son profil LinkedIn affiche un CV long comme le bras. Il y catalogue ses entreprises qui renvoient vers des pages web peu abouties.
Le site internet du château de la Chaume (Calamus Castle), https://chateaudelachaume.com/, présente des détails grossiers : onglets aux contenus incomplets, voire inexistants, et même des commentaires bidons. Comme celui de John Doe, de Rome en Italie, qui a passé un séjour mémorable en Saintonge. « Il s’agit de commentaires tout faits qui viennent avec la structure du site internet, éclaire un webmaster. John Doe, c’est un grand classique. » Parmi ces « retours d’expérience », on trouve une certaine Ina Aldrich d’Athènes et une Mabel Hicks de Moscou. Si les noms diffèrent, la photo de profil est bien identique.
Un certain nombre d’images provient de la banque d’images Shutterstock.
Capture « SO »
La Saintonge est dépaysante, il est vrai, mais parmi les photos affichées sur le site, un certain nombre provient de la banque d’images Shutterstock. Comme ce couple de jeunes mariés où l’époux tient une poignée de clubs de golf. Plus surprenante, cette vidéo de Zakynthos, une île de la Mer ionienne en Grèce, et son eau turquoise.
Texte en latin
Au final, à part quelques images du château et une vidéo filmée par un drone, survolant la propriété, 90 % des visuels, si ce n’est plus, n’ont rien à voir avec le « Calamus castle ». Un onglet « restauration » figure aussi sur le site mais laisse littéralement sur sa faim.
Des commentaires bidons.
Capture « SO »
Autre société dont Gabriel Nakhleh dit être le cofondateur, et autre site internet : tp17.fr., qui propose notamment d’acheter du matériel en ligne. Un pinceau pour 8 euros, une scie circulaire pour 42 euros… Mais en cliquant sur l’un des items, on tombe sur leur description en latin. Du faux texte déjà existant habituellement dans les prémaquettes de site internet. Si le visiteur du site le souhaite, il peut contacter un certain « George Brown », l’architecte de TP17. Il est en photo. Plutôt beau gosse, brun, barbe de quelques semaines, la trentaine. À côté, un numéro de portable. Celui de M. Nakhleh.
Source : https://www.sudouest.fr/charente-maritime/pont-l-abbe-d-arnoult/folie-des-grandeurs-plein-de-belles-paroles-les-intrigantes-affaires-du-baron-de-la-chaume-en-charente-maritime-15989255.php
Auteur :
Date de Publication : 2023-07-26 06:00:00
Le droit d’auteur pour le contenu syndiqué appartient à la source liée.