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Tribunal de Meaux : Le 3e étage d’un immeuble interdit aux résidents par les dealers

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Les locataires de la résidence Aquitaine à Meaux (Seine-et-Marne) n’ont plus accès aux communs du 3e étage : tout y a été cassé afin de convertir l’espace en point de vente de drogue. « Effrayés, ils vivent un calvaire », s’est émue la procureure. Le 27 juin, à l’issue d’un mois de surveillance, six hommes y ont été arrêtés.

Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 

Dans le box des détenus ce mercredi 19 juillet, ils sont trois. À la barre, un prévenu sous contrôle judiciaire. Les deux autres supposés complices sont assis dans la salle de la 1re chambre correctionnelle du tribunal de Meaux : leur avocat est « coincé dans un avion ». La présidente propose finalement de juger ceux-ci mercredi 26. Débute alors le récit de « l’enfer » où sont plongés les résidents de la tour Aquitaine, construite dans le quartier de Beauval à Meaux, édifice régulièrement ciblé par les forces de l’ordre.

Le parquet, représenté par une auditrice de justice talentueuse arrivée il y a cinq semaines, dressera un état des lieux significatif : portes démontées, murs fracassés, mobilier détérioré, colonnes sèches brisées et des barrières afin d’empêcher les habitants d’accéder librement au 3e palier – ils doivent obtenir une autorisation. Les consommateurs en quête de stupéfiants, une cinquantaine par jour jusqu’à minuit, doivent pareillement montrer patte blanche pour se ravitailler auprès de dealers encagoulés : hors de question d’être piégé par les flics en civil. Aussi, quand Sirne a crié « v’là les porcs » le 27 juin, ils ont tenté de prendre la tangente. Coincés par la police postée au 4e et en sortie de bâtiment, six individus ont été interpellés.

« Je dépense tout mon RSA en cannabis »

Le 30, en comparution immédiate, ils ont souhaité un délai pour préparer leur défense, accordé sous conditions : détention pour Inza, Damien, Sirne (respectivement âgés de 21, 33 et 23 ans) ; contrôle judiciaire pour King, 24 ans. Ibrahima et Yacouba reviendront le 26. Promue coordinatrice du pôle des comparutions immédiates à Paris, la juge Emmanuelle Teyssandier préside l’un de ses ultimes procès. Elle lui consacrera trois heures.

La plupart des jeunes répondent de trafic et usage de drogue en récidive, sauf Sirne le guetteur soupçonné de complicité, et occupation en réunion d’un espace commun d’immeuble empêchant délibérément la circulation des personnes. L’exposé des faits ne justifie pas que l’on s’y attarde ; il est hélas classique : « l’Aquitaine » abrite donc un point de deal où vont et viennent vendeurs et clients. L’unité de lutte contre ces trafics de stups les a dans le collimateur depuis un an. Les incarcérés sont vite remplacés : payée 70 € la demi-journée, la main-d’œuvre se bouscule.

Les prévenus sont interrogés. D’abord Damien, 430 € en poche et, chez ses parents, 95 grammes de shit, deux rouleaux de plastique thermosoudable, une balance, des centaines de sachets de conditionnement, deux couteaux portant la trace de résine. « C’est pour ma conso. Le 27, j’en ai racheté car c’est du bon. » Le matériel ? « A des amis. » Ses liasses de billets prises en photo, environ 200 000 € ? « Des captures d’écran sur internet. » La citation sur son profil “vendre du shit est un métier, faut être sociable” ? « Du rap » (La Danse des Leurdeas). Et comment finance-t-il ses besoins depuis 2002, « 20 joints par jour » ? « Je dépense tout mon RSA [607 €] en cannabis, je mange chez ma mère » qui l’a « mis dehors deux ans, elle supportait plus les odeurs de shit. Je suis addict, faut m’obliger à me soigner », ajoute le trentenaire si maigre. Sur son casier judiciaire (CJ), 12 condamnations dont cinq en relation avec la drogue ; il a été incarcéré en 2015 et 2016. Au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin où il est enfermé depuis 19 jours, « ça se passe mal. Je suis entouré de meurtriers qui ont pris 25 ans ».

Sur un point de deal alors qu’il est en semi-liberté

King, grand échalas en survêtement, paire de lunettes à monture dorée, se dandine à la barre. Depuis un séjour à la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), il est en semi-liberté avec un CJ fourni, dix sanctions depuis 2013. Et que faisait-il à l’Aquitaine ? « J’y habite. J’étais au 3e pour voir une vidéo sur le téléphone d’un ami. » La juge : « C’est une bonne idée d’être sur un point de deal en semi-liberté ? » « Non, pas vraiment », rétorque King sans plus de cérémonie.

Sirne, qui a donné l’alerte de l’élégant « v’là les porcs », comparaît pour la 11e fois devant une juridiction, toujours à cause des ventes de stups. Mais, il l’assure : « J’étais par hasard à l’Aquitaine. » Mme Teyssandier : « – Faux, vous êtes arrivé en train exprès pour vous y rendre, du 22 mai au 27 juin. Sorti de prison le 15 mai, vous êtes en sursis probatoire ! C’est quoi, votre problème ?

–  Je suis en situation difficile, sans domicile fixe, ma mère m’a viré.

– C’est grave. Vous allez passer votre vie à entrer et sortir de prison, si par chance vous ne prenez pas une balle dans la tête. Remobilisez-vous, sinon vous n’avez pas d’avenir ! Qu’en pensez-vous ?

– Rien du tout. »

Au tour d’Inza, tee-shirt noir, tresses peroxydées. Huit condamnations à 21 ans : « J’étais jeune, influençable. » Il ne l’est plus « car [il a] réfléchi durant [sa] détention » – il a été élargi le 5 avril, trois mois avant l’arrestation. Il en a profité pour s’inscrire à la mission locale afin de « toucher 528 € », dont moitié part dans ses « dix joints par jour ». Ce dossier est désespérant. Les conséquences le sont plus encore pour les locataires de l’Aquitaine.

« Une mère a dû éloigner son enfant, le confier à une amie »

 La jeune procureure requiert pour la première fois contre une délinquance de ce type. Méthodiquement, elle décrit le quotidien des résidents depuis « des mois, voire des années, les odeurs insupportables, les dégradations. Ces gens ont très peur, il leur est interdit de passer par le 3e étage, ils sont terrifiés à l’idée de témoigner. Une mère a même dû éloigner son enfant et le confier à une amie ! L’impact des nuisances est concret, visible. Ces gens sont dans le désarroi… » Elle estime que « chacun, ici », en est responsable.

À l’encontre d’Inza, dont l’ADN se trouvait sur une cagoule et le matériel, elle requiert 18 mois, 10 avec un sursis probatoire de deux ans. Elle sollicite le retour en cellule de King, en semi-liberté, pour 14 mois, plus 10 autres sous sursis probatoire jusqu’en 2025. Même requête contre Damien, 3 000 € d’amende « car il faut faire mal au portefeuille » de celui qui s’est exhibé « avec 200 000 € ». Sirne, complice, mérite huit mois sans aménagement et la révocation du dernier sursis de deux mois. Des interdictions/obligations sont requises. « La drogue entraîne les violences, et des gens meurent », a-t-elle martelé.

Ancien bâtonnier de Meaux, Me Sandrine Vergonjeanne plaide pour tous, sauf King. Pas question « de nier les nuisances, je ne les minimise pas, mais une fois reconnues, je veux des certitudes sur les dates, les faits. Un mois de surveillance et la présence de certains d’entre eux relevée seulement le jour de l’interpellation ? Je me pose des questions ». Inza est à la table des dealers « mais n’est-il pas simple consommateur ? » Damien, « en errance, perdu dans sa vie, ressemble-t-il à quelqu’un qui a eu 200 000 €, regardez-le, ce n’est pas le haut du panier ! » Me Vergonjeanne dit enfin s’interroger sur la personnalité de Sirne : « C’est une énigme, il ne parle pas, il est seul, en circuit fermé. Son silence me dérange. Est-il schizophrène ? Il a besoin d’aide, d’un espoir ». King, bras ballants et sans avocat, jure « n’avoir rien à faire dans l’histoire. Je suis surveillé de 8 à 16 heures, j’ai pas le temps de dealer ».

S’agissant d’Inza et Sirne, les réquisitions du parquet sont suivies, le jeune guetteur est maintenu en détention, Inza bénéficiera la semaine prochaine d’une semi-liberté. King prolongera la sienne de trois mois. Damien écope d’un an, moitié sous bracelet électronique. Tous seront surveillés pendant deux ans. Ils devront se soigner, travailler, ne plus mettre un orteil dans le quartier de Beauval et ne plus se contacter.

Me Sandrine Vergonjeanne, ancien bâtonnier de Meaux, au tribunal judiciaire le 19 juillet 2023 (Photo : ©I. Horlans)

Source : https://www.actu-juridique.fr/penal/tribunal-de-meaux-le-3e-etage-dun-immeuble-interdit-aux-residents-par-les-dealers/amp/

Auteur :

Date de Publication : 2023-08-03 09:04:10

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