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Militantisme écologique : l’engagement peut-il s’apparenter à une forme d’aventure ?

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On croirait une scène d’un James Bond. En cette après-midi de février 2023, hivernale mais ensoleillée, un Zodiac fend les eaux de l’Atlantique à une centaine de kilomètres au large des côtes bretonnes. Face à lui, se dresse un mastodonte : un cargo-transporteur de 200 mètres de long et 60 mètres de large, avec à son bord une plateforme pétrolière de 34.000 tonnes. Dans la petite embarcation, cinq militants de Greenpeace. Deux d’entre eux sont casqués, encordés, équipés de gilets de sauvetage. Ils se préparent à une périlleuse opération : aborder l’énorme navire en marche.

Dans la grande famille des militants écologistes, il y a ceux qui interviennent dans les collèges et lycées pour constituer des fresques du climat, ceux qui forment les mairies au compostage collectif, ceux qui bombardent de pétitions par mail les décideurs politiques jugés trop timorés sur les causes environnementales. Et ceux qui s’engagent sur des terrains lointains et dangereux. Pour ces derniers, qui partent vers l’inconnu, prennent des risques, voire transgressent les règles, l’engagement peut s’apparenter à une forme d’aventure, riche d’adrénaline, de défi physique et de dépaysement. Mais sur place, dans l’action, est-ce vraiment d’aventuriers dont les ONG ont besoin ?

EN IMAGES Ces gestes que nous croyons écologiques et qui ne le sont finalement pas

Pour les militants de Greenpeace partis à l’abordage du cargo, la prise de risque était réelle : mieux valait ne pas se manquer lors de l’assaut, la température de l’eau n’excédant guère les cinq degrés. «Nos pilotes sont des as ! Ils sont parvenus, en abordant par le côté, à se placer au plus haut de la houle générée par le transporteur tout en se collant au plus près de lui, se rappelle Pascal Havez, bénévole de l’ONG. Nous avons utilisé une perche pour accrocher une corde sur le bateau et nous nous sommes hissés. Comme des pirates !» Une fois à bord, le plus dur restait à faire : charger des sacs de 400 kilos jusqu’au sommet de la plateforme pétrolière, 50 mètres plus haut. En plus de l’eau, des vivres et des couvertures (l’équipe allait rester huit jours à bord), ils contenaient des banderoles, des appareils photo ou vidéo et du matériel informatique. Le tout devant servir à dénoncer les ravages des forages, la plateforme, propriété du pétrolier Shell, étant destinée à exploiter huit nouveaux puits au nord de l’Écosse.

La mission ne fut pas tout à fait sans conséquences pour ces alpinistes des mers : lors d’une escale au port de Haugesund en Norvège, ils étaient attendus… par la police. Face à l’assurance qu’ils n’avaient aucune intention de rester dans le pays, les forces de l’ordre les ont cependant relâchés rapidement.

Vieille dame de la lutte environnementale, Greenpeace est – avec Sea Shepherd, spécialiste de la protection des écosystèmes marins – l’une des ONG qui incarne le mieux l’idée que l’on se fait de l’aventure, explique Alexis Vrignon, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université d’Orléans, coauteur d’Une histoire des luttes pour l’environnement (éd. Textuel, 2021) : «Leur promesse d’une nature encore sauvage, leurs actions en mer et la possibilité d’une confrontation avec d’autres bateaux, tous ces éléments contribuent à cette image.» Mais ces dernières années, le spectre des modes d’action des associations s’est élargi, avec l’arrivée de nouveaux acteurs, tels les activistes prônant la désobéissance civile d’Extinction Rebellion et des spécialistes des intrusions médiatiques comme le collectif français Dernière Rénovation, remarqué pour avoir «perturbé» Roland-Garros et le Tour de France. Ici, pas de promesse de terres inconnues, mais un rapport au risque certain. Une autre forme d’aventure…

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Des actions plus engagées et plus fortes

De quoi séduire les jeunes, de plus en plus nombreux à vouloir s’engager. «La gravité des études scientifiques récentes sur le réchauffement planétaire a provoqué chez beaucoup d’entre eux une éco-anxiété que seule l’action est capable d’apaiser», analyse Alexis Vrignon. Et pour certains d’entre eux, «agir» ne signifie plus seulement faire des «petits gestes» comme trier ses déchets ou rouler en électrique. D’où la tendance qui consiste à privilégier des actions plus engagées et plus fortes.

«L’océan a besoin de héros, pourquoi pas toi ?», «Nous recherchons des personnes prêtes pour l’aventure de leur vie». Comme l’atteste la page recrutement de son site internet, la filiale française de Sea Shepherd n’hésite pas à jouer sur le registre du dépassement de soi pour attirer des militants en veine d’action. Mais si ces profils peuvent bien correspondre aux missions courtes et aux actions coup-de-poing, ils ne conviennent pas à toutes les formes d’engagement.

D’autres structures, surtout celles tournées vers l’humanitaire, ont même plutôt tendance à se méfier de ceux qui s’engageraient sur la simple idée de vivre une aventure. «Les personnes qui nous rejoignent uniquement pour expérimenter des situations extrêmes ou pour sauver le monde déchantent souvent lorsqu’elles sont confrontées à un terrain difficile, ou sont frustrées de l’absence de résultats immédiats», prévient Marine Barreau, responsable des ressources humaines chez Action contre la faim (ACF), association qui a récemment pris un virage écologique puisque le réchauffement climatique a des conséquences directes sur les récoltes. Pour décourager les «têtes brûlées», ACF ne fait plus appel à des bénévoles mais à des salariés pour ses missions internationales, dont elle a fixé la durée minimale à six mois.

Quant aux militants, même s’ils sont impliqués dans des projets haletants, tous ne se considèrent pas forcément comme des aventuriers. «L’aventure, dans mes missions, ce sont les rencontres et la découverte de territoires différents, mais je ne suis pas là pour l’adrénaline ou l’action suscitée par de possibles affrontements. Ce serait une erreur : ce dont nous avons besoin avant tout, ce sont des passionnés au sang-froid, pas des têtes brûlées», souligne ainsi Cyril Perrin, qui est parti en mer avec Sea Shepherd sur des missions de longue durée (quatre mois) vers le Liberia et le Bénin pour tenter d’y endiguer le braconnage des espèces marines protégées. Beaucoup de militants semblent d’ailleurs loin de faire de l’aventure un mode de vie, à l’image de Pascal Havez : le bénévole de Greenpeace ne choisit que des actions ponctuelles (comme l’abordage de la plateforme pétrolière) qui s’imbriquent dans les temps morts de sa vie professionnelle et familiale. D’autres choisissent le salariat dans une association plutôt que de s’engager tel un mercenaire de la planète vers la mission avec le plus fort potentiel d’adrénaline…

L’aventure semble donc pour beaucoup constituer une sorte de «cerise sur le gâteau de l’engagement», mais le cheminement inverse est également possible. L’association La Guilde a été fondée par des… aventuriers. Elle accompagne de nombreux jeunes bénévoles, notamment des participants au Service civique ou au Volontariat de solidarité internationale (VSI), qu’elle met en contact avec des associations locales. Aymeric de Chezelles est ainsi devenu directeur administratif d’une radio pour la paix au Kurdistan irakien. «Après avoir enchaîné les expériences à l’étranger à l’issue de mes études, je me suis dit que j’en avais assez d’être une sorte de vagabond qui profitait du monde sans rien construire. Il fallait que je donne du sens à mes voyages», confie-t-il. Les chemins qui mènent à l’aventure militante sont loin d’être univoques.

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«En mer, on se retrouve avec des passionnés aux convictions fortes»

Cyril Perrin, 31 ans, bénévole chez Sea Shepherd

Sa dernière mission en date ? «Dolphin Bycatch», sur la côte Atlantique française, qui visait à alerter sur l’hécatombe de dauphins, victimes de captures involontaires par des chaluts. Ingénieur mécanique et motoriste, puis apprenti pilote pour Air France, Cyril était promis à une carrière de pilote de ligne. Il a tout plaqué à l’occasion d’un événement qui en a bouleversé plus d’un : le Covid. «La pandémie a d’abord détruit en partie mes possibilités de faire ce métier dans de bonnes conditions, mais elle m’a surtout fait comprendre que c’était préserver notre planète qui me tenait à coeur», se souvient-il. Il se consacre depuis à Sea Shepherd, où il s’engageait déjà avant pour des actions de sensibilisation à terre, mais qui étaient beaucoup plus ponctuelles. Depuis, il part régulièrement pour de longues missions en mer afin de combattre la pêche illégale d’espèces menacées. «En retirant des animaux pris dans des filets ou en arrêtant des braconniers, on a l’impression de faire une action concrète pour l’environnement.»

«J’ai un petit côté tête brûlée, j’interviens en terrain très difficile»

Quentin Quéré 28 ans, salarié chez Action contre la faim

Quentin est pour ainsi dire tombé dans la marmite humanitaire quand il était petit : soutien scolaire dans les cités à son adolescence, distributions de nourriture avec les Restos du Coeur plus tard, il n’hésitait jamais à s’engager. «Enfant, je ne comprenais pas que des gens puissent dormir dans la rue. Cette volonté de combattre l’injustice ne m’a pas quitté.» Par défi, lors de sa formation à l’institut Bioforce (un centre de formation aux métiers de l’humanitaire), il choisit la mission la plus dure possible dans la campagne du Nicaragua. «J’ai un petit côté tête brûlée, je me le suis rappelé l’an dernier quand je suis parti de chez moi à 3 heures du matin pour filer en Ukraine en pleine zone de guerre et que je me suis un peu demandé ce que je faisais là…» Aujourd’hui responsable logistique dans l’Ituri, une province de la République démocratique du Congo, il vit de la façon qui correspond à son idée de l’aventure : «Même si notre métier est difficile, il y a quelque chose de magique à survoler un paysage sauvage en hélicoptère, à débarquer dans un endroit où aucun autre véhicule n’est passé depuis huit ans ou encore à rencontrer des personnes magnifiques que l’on n’aurait jamais connues autrement.»

«À un moment, j’ai décidé de donner du sens à mes voyages»

Aymeric de Chezelles 32 ans, salarié chez La Guilde

Séjour universitaire d’un semestre aux États-Unis, stages de six mois chacun en Chine, puis en Inde, visa de vacances-travail en Australie… Passionné de voyage, Aymeric enchaîne les échappées après ses études, avant de décider de leur donner du sens. Il entreprend alors, entre autres, un projet sur la condition des femmes en Afrique et part en mission de protection de l’enfance au Maroc et au Congo. Depuis un an et demi, il est en charge de l’administration d’Al-Salam, une radio basée au Kurdistan irakien, qui vise à propager la voix de tous les réfugiés ayant fui l’organisation État islamique, qu’ils soient kurdes, arabes, chrétiens, musulmans ou yézidis. «Il y a un côté unique dans le fait de vivre ici, dans un pays délaissé par les Occidentaux, et de se retrouver, au sein d’une structure de taille familiale, où nous nous sentons proches les uns des autres, malgré nos différences culturelles, de langue ou d’origine», décrit-il. Ce projet a fait l’objet d’un film, En toute liberté, sorti en mars 2023. De quoi repartir bientôt avec le sentiment du devoir accompli : «J’arrive à la fin de ma mission, c’était une page magnifique mais il est temps de la tourner. Pour l’instant, je sais juste que je vais profiter des montagnes françaises.»

«Je ne cherche pas les actions coup-de-poing, j’y suis obligée»

Hannah Elhadi 34 ans, bénévole chez Greenpeace

Hanna a toujours été sensible aux questions écologiques. Ingénieure en environnement, elle a notamment cocréé une association environnementale pendant ses études à AgroParisTech en 2010. Elle s’engage chez Greenpeace à partir de 2016 et enchaîne depuis les actions de grande ampleur : blocage du déchargement d’une cargaison de soja au port de Sète en 2019, introduction sur le site hautement sécurisé de la centrale nucléaire du Tricastin en 2020, où elle a été mise en joue par des agents de sécurité… Des «shoots» d’adrénaline dont elle se serait bien passée : «Si je pouvais tendre le dernier rapport du GIEC [groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] aux plus gros pollueurs de la planète pour qu’ils cessent leurs activités, je signerais volontiers ! Je n’ai pas de propension naturelle aux actions coup-de-poing, j’y suis contrainte.»

«C’est pour l’avenir de mes enfants que j’ai choisi de m’engager»

Pascal Havez 55 ans, bénévole chez Greenpeace

Pascal a rejoint Greenpeace il y a une quinzaine d’années, peu après la naissance de ses enfants. «C’est pour leur avenir que je fais ça, pour qu’ils en aient un. Et puis je me suis toujours senti très proche de la nature, j’habite dans un petit village esseulé à 1.800 m d’altitude. M’engager pour protéger notre environnement a été évident pour moi.» Amateur d’alpinisme et cordiste (artisan du bâtiment intervenant dans des endroits inaccessibles où il est impossible de dresser des échafaudages), il se spécialise dans l’accrochage de banderoles sur divers bâtiments comme les centrales à charbon, les plateformes pétrolières ou les centrales nucléaires. Des missions qui lui ont valu de nombreuses arrestations mais pas le moindre regret : «C’est le prix à payer pour lancer des alertes et faire bouger les choses.»

⋙ Pour mieux protéger les dauphins, Sea Shepherd et France Nature Environnement attaquent le gouvernement

➤ Grand entretien paru dans le magazine GEO Hors-Série n°43, de juillet-août 2023.

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Source : https://www.geo.fr/environnement/militantisme-ecologique-lengagement-peut-il-sapparenter-a-une-forme-daventure-216150

Auteur :

Date de Publication : 2023-09-02 12:13:00

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