Johan Van der Keuken, l’Oeil Visionnaire

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Photographe visionnaire, cinéaste audacieux et écrivain engagé, Johan Van der Keuken (1938-2001) a capturé l’essence de son époque à travers son objectif, figeant à la fois l’air du temps et des moments intimes empreints d’intensité.

Son héritage artistique reflète la profondeur et la diversité de son univers visuel. Le Jeu de Paume à Paris organise d’ailleurs une grande rétrospective pour rendre hommage à l’artiste néérlandais. L’occasion de revenir sur son parcours unique.

Johan Van der KeukenJohan Van der Keuken, Autoportrait à 14 ans, 1953 © Noshka van der Lely

Johan Van der Keuken, précocité d’une singularité artistique

Johan Van der Keuken nait à Amsterdam le 4 avril 1938. Très tôt, il se passionne pour les arts visuels et s’initie à la photographie dès ses douze ans sous la conduite de son grand-père maternel. Il intègre l’Institut des Arts Visuels d’Amsterdam où il se forme avec brio. Rapidement, l’élève développe son propre style en combinant l’approche documentaire et la sensibilité artistique qui définiront toute son oeuvre.

Son corpus de jeunesse donne déjà une place importante au portrait et au regard. Son sens de l’observation et son empathie lui permettent de saisir ses sujets dans des instants de vulnérabilité comme de tendresse. Repéré à seulement 17 ans par un critique de la revue Camera, Johan Van der Keuken gagne une réputation internationale en tant que photographe. Son premier album publié à vingt ans, Wij Zijn 17 (Nous avons 17 ans) rassemble une trentaine de portraits d’adolescents en rébellion contre la société hollandaise d’après-guerre. 

Johan Van der KeukenJohan van der Keuken, Yvonne et Georgette, Achter glas 1956, Collection Maison Européenne de la Photographie © Noshka van der Lely

Johan Van der Keuken devient un photographe dont l’écriture photographique dépasse les critères techniques, mais aussi esthétiques de son époque pour faire naître une sensation, un trouble. Cette inquiétude palpable est-elle celle de l’artiste ? Certains critiques établiront le parallèle, érigeant Johan van der Keuken en photographe existentialiste.

Pulsations urbaines décentrées

Naturelles, ses images happent le regard de celles et ceux qu’il photographie. Que son modèle pose ou que son attitude soit figée à l’instant décisif, Johan Van der Keuken semble faire de chacun le personnage principal de sa narration. L’une de ses photographies les plus célèbres, prise à Paris le 14 juillet 1958, témoigne de son talent unique pour composer une scène contenant autant de récits que l’œil prendra le temps de dénouer. Au premier plan un couple danse, puis le regard oscille vers un groupe au second plan surpris en pleine conversation alors que sur la gauche des enfants se précipitent vers un évènement hors champ.

Johan Van der KeukenJohan Van der Keuken, Paris, 1956-58, Collection Maison Européenne de la Photographie © Noshka van der Lely

Comme l’ont fait remarquer certains analystes de l’œuvre du photographe, ce dernier soigne particulièrement les bords et contours de ses images. Seuils de pierres, fenêtre comme cadre dans le cadre, personnages excentrés prolongeant la narration, regards hors champs perçant l’image… Johan Van der Keuken est lui de l’autre côté. L’appareil, seule frontière, est parfois franchie à l’occasion d’une série d’autoportraits.

Johan Van der KeukenJohan Van der Keuken, Montagnes dehors, montagnes dedans, Plan de la Tour 1975, Collection Maison Européenne de la Photographie © Noshka van der Lely

Dans Paris Mortel, corpus moins introspectif, moins adolescent peut-être, Johan Van der Keuken se tourne vers le monde extérieur. Les photos rassemblées en six chapitres thématiques (métro, parades militaires, portraits de rue…) ont été prises au fil de ses errances parisiennes durant l’année 1958.

Johan Van der KeukenJohan van der Keuken, Paris, 1956-58 Collection Maison Européenne de la Photographie © Noshka van der Lely

Instabilité gouvernementale, derniers jours de la guerre d’Algérie et retour au pouvoir du Général de Gaulle forment la toile de fond de ces clichés. Loin d’un Paris romantique caricatural, Johan Van der Keuken dresse le portrait d’une ville industrieuse et de ses classes les moins favorisées. En 1960, son premier film Paris à l’Aube dénouera le fil de cette narration.

Si ses compositions transmettent une impression de mélancolie, Johan Van der Keuken sait aussi saisir la joie et ses manifestations, peut-être plus que le bonheur qui déjà s’éloigne du mouvement avec son état de tranquille sérénité. C’est le cas face à cette bande de gamins des rues rivalisant de grimaces devant l’objectif de son Leica M3 (il est à cette période également équipe d’un Rolleicord). De Paris à Amsterdam ou New York, sa photographie de rue capture avec justesse le pouls de la ville.

Johan Van der KeukenJohan van der Keuken, Paris, 1956-58 Collection Universitaire Bibliotheken Leiden © Noshka van der Lely

De la photographie au cinéma, mises en mouvement et saisissements

La manière dont ces narrations se côtoient, s’emboitent comme des poupées russes, est aussi volonté de retranscrire la vie. C’est le pressentiment du mouvement photographique qui le conduira au cinéma. De l’image fixe à l’image en mouvement, telle est l’incessante dialectique et course-poursuite de Johan Van der Keuken. Le mariage de clichés nets à des images floues, le recadrage d’une image présentée en triptyque, comme animée, sont autant de façon d’y parvenir.

Film-de-photographe : qu’y a-t-il de plus palpitant que la presque immobilité, que la réalité très visiblement découpée par un cadre qui est presque définitif, mais qui éclate au dernier moment, en haut, en bas, sur les côtés, vers d’autres visions ? La photographie ne peut pas faire cela. Seul un moyen d’expression animé peut montrer l’immobilité et le retour vers le mouvement.

1984, Johan Van der Keuken, aventures d’un regard, édité par Les Cahiers du Cinéma

Sa photographie est cinématique et, lorsqu’à l’inverse il travaille au montage d’un de ses documentaires, il isole ses plans, les ordonne, les intervertit : en l’essence ses films et leurs séquences sont traités comme des photographies.

Mouvement et passage du temps sont des synonymes qu’interroge le travail de Johan Van der Keuken. Fortement influencé par des démarches expérimentales en matière d’écriture et de poésie (notamment celle de l’artiste Lucebert), l’artiste développe une approche de plus en plus fragmentaire de l’image et des séquences filmées. Johan Van der Keuken est aujourd’hui considéré comme l’un des inventeurs de l’essai cinématographique, aux côtés de Jean Luc Godard et Chris Marker.

Johan Van der KeukenJohan van der Keuken, Jaipur V, de la série « Jaipur, Rajastan, Inde, de l’après-midi à la nuit tombée », 1991 Collection Maison Européenne de la Photographie © Noshka van der Lely

Les voyages mobiles et intérieurs de Johan Van der Keuken

Artiste voyageur, Johan Van der Keuken explore le monde et ne reproduit jamais deux fois la même image. À l’écran, il fait du documentaire socialement puis politiquement engagé sa marque de fabrique, particulièrement dans les années 70 et 80. Avec Triptyque Nord-Sud, reportage sur le tiers monde, il met l’axe nord-sud et ses tensions au cœur de son propos. Europe, Afrique, Inde, Vietnam, Palestine, Amériques, Balkans … : Johan Van der Keuken épingle les scènes de vie quotidienne, les corps et les visages comme les paysages.

À Mysore (Inde) il se poste à l’entrée d’un hôpital et arrête, le temps d’instantanés, ce qui est encore la vie, mais n’est déjà plus le mouvement. Dans cet entre-deux auquel conduit la mort, la vieillesse ou la maladie Johan Van der Keuken réalise des images d’une rare sensibilité.

Johan Van der KeukenJohan Van der Keuken, Joke avec Else, 1961, Collection d’entreprise Neuflize OBC © Noshka van der Lely

L’artiste utilise aussi le cinéma pour revenir à l’intime, continuant d’approfondir cette dualité caractéristique entre engagement extérieur et introspection. Famille, proches et amis sont souvent les acteurs de prédilection qu’il filme, caméra à l’épaule, pour saisir à la fois la réalité brute, mais aussi l’expression d’une vérité intérieure. Une semaine avant le décès de sa sœur, Johan Van der Keuken filme deux conversations avec Joke (qui figurait déjà dans Wij Zijn 17). Dans On Animal Locomotion, l’artiste devient le personnage central de son film.

Entre 1960 et 2000, Johan Van der Keuken réalise une soixantaine de films, courts, moyens et longs métrages. Toute sa vie durant, cinéma et photographie n’auront de cesse de dialoguer. Lorsqu’il tombe (temporairement) l’appareil ou la caméra pour prendre la plume la photographie n’est jamais bien loin ; la culture et la politique non plus.

Explorer les techniques et formats

Profond, méticuleux, Johan Van der Keuken explore les angles de vue, les compositions, mais aussi les techniques d’impressions photographiques ou de montage. Au noir et blanc succèdera une photographie couleur affirmée. Jusqu’à sa manière de présenter ses œuvres (diffusion en continu, mise en perspective de scènes radicalement opposées, diffusions de jazz), Johan van der Keuken continuera jusqu’à sa disparition (le 7 janvier 2001) d’interroger, de confronter représentations fictionnelles et réalité.

Johan Van der KeukenJohan van der Keuken, 42nd Street, New York, 1997. Collection Nederlands Fotomuseum © Noshka van der Lely

Existentialiste ou non, chez Johan Van der Keuken le médium reste ce qu’il est : un moyen. L’accessoire photographique, littéraire ou cinématographique est employé en vue d’une émotion. Formulée en 1984 par Johan Van der Keuken cette question « Comment représenter un espace vécu sur une surface plane ? » est peut-être la clé de voûte de toute son œuvre.

Johan Van der Keuken, Wij zijn 17, 1955, Collection Universitaire Bibliotheken Leiden © Noshka van der Lely

La Maison européenne de la Photographie conserve plus de 300 tirages archives de Johan Van der Keuken ainsi que la quasi-totalité de son œuvre cinématographique.

Grâce aux prêts d’une partie de ce fonds, et à ceux de collections du Nederlands Fotomuseum, le Jeu de Paume organise une grande rétrospective du 16 juin au 17 septembre 2023 avec une centaine de tirages d’époques, maquettes, documents inédits et courts métrages. Informations et billetterie sur le site du Jeu de Paume.

Source : https://phototrend.fr/2023/06/zoom-photographe-johan-van-der-keuken/

Auteur :

Date de Publication : 2023-06-29 10:18:31

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