* . *

Cosmétiques pour peaux noires: face à une offre limitée, les influenceuses se créent un marché

GoogleAds

Lire aussi: Les influenceuses fitness, nouvelles stars des réseaux sociaux

En 2020, alors que le mouvement Black Lives Matter décollait dans le sillage du meurtre de George Floyd, elle a posté un lien sur Twitter vers un groupe WhatsApp «créé sur un coup de tête» pour organiser une manifestation. «Le jour J, nous étions plus de 20 000 à Hyde Park», raconte-t-elle. Peu après, elle décide néanmoins de se concentrer sur ce qui est plus proche d’elle, «là où je peux vraiment faire une différence».

Depuis 2021, elle possède son propre service de coiffure, après avoir appris les ficelles du métier sur le tas dans l’institut capillaire de sa tante et en faisant des visites à domicile après l’école. Parmi ses clients figurent des footballeurs de Chelsea, des rappeurs et des mannequins. Sur les réseaux sociaux, elle promeut la beauté des peaux noires et des cheveux afros.

Vêtue d’un bas de training noir et d’un crop top à capuche, elle arbore un maquillage minimal. Un peu d’anticerne, du mascara et du gloss pour les lèvres. «Il y a encore trop peu de produits destinés aux peaux foncées comme la mienne, dénonce-t-elle. Maybelline vient par exemple de cesser de produire l’anticerne d’un brun profond que j’avais l’habitude d’utiliser.»

Dans le milieu de la coiffure et du maquillage, Naomi Smith propose des tutos qui valorisent la beauté des personnes noires. — © @touchofbeautie / Instagram

Dans le milieu de la coiffure et du maquillage, Naomi Smith propose des tutos qui valorisent la beauté des personnes noires. — © @touchofbeautie / Instagram

De nombreuses marques ne proposent qu’une palette de fonds de teint limitée, essentiellement destinée aux carnations claires. «Même lorsqu’il y a des couleurs plus foncées, elles ne sont souvent pas vendues en magasin, ce qui nous oblige à les acheter en ligne sans pouvoir les essayer», soulève Jessica Thomas, une maquilleuse professionnelle basée à Cleveland, aux Etats-Unis. Elle a longtemps dû se reposer sur du maquillage de théâtre et sur une poignée de marques «ethniques» pour trouver une teinte adaptée à sa carnation.

«Que ce soit dans les vestiaires des défilés de mode ou aux comptoirs cosmétiques des grandes surfaces, il n’y a en général personne qui sache comment maquiller une peau noire, relève LaPorchia Davis, professeure de sciences de la consommation à l’Université d’Etat du Tennessee et auteure d’une thèse sur les produits de beauté destinés aux femmes afro-américaines. On nous propose presque systématiquement la fausse teinte.»

L’importance des nuances de tons

Chiamaka Nzeji, une maquilleuse et influenceuse de 25 ans qui vit à Manchester et publie ses créations sur Instagram sous l’appellation @touchofbeautie, se bat tous les jours contre ces contraintes. «Ce n’est pas qu’une histoire de couleurs, dit-elle. Les peaux foncées ont souvent une nuance chaude, légèrement dorée ou orangée, alors que les peaux blanches sont plutôt caractérisées par une nuance froide, dans les tons bleus ou roses.»

Les produits qui leur sont destinés doivent donc non seulement contenir des pigments suffisamment foncés, mais aussi refléter les nuances. «Sinon, cela nous confère un teint grisâtre», soupire-t-elle. De même, les blushs doivent être d’un rose profond et suffisamment pigmentés, «faute de quoi ils ne se voient pas». Les poudres, les anticernes, les enlumineurs et les fards à paupières doivent quant à eux ne pas être trop clairs et privilégier le doré à l’argenté.

Venue du Nigeria il y a un an pour effectuer un master en ressources humaines, Chiamaka Nzeji constate la différence d’offre entre le Royaume-Uni, «où les femmes à peaux foncées représentent une minorité et ont un pouvoir d’achat moindre, ce qui en fait un marché peu intéressant pour les grands noms de la mode», et l’Afrique, où une pléthore de marques de cosmétiques leur sont adressées.

Les femmes à la carnation foncée sont délaissées également sur le front des soins de la peau. Dija Ayodele en a fait son cheval de bataille, divulguant des conseils quotidiens sur son fil Instagram à ses 31 500 followers. Cette ancienne banquière a aussi créé un répertoire en ligne des professionnels de l’esthétique capables de prendre en charge les peaux foncées, ainsi qu’un studio de beauté, West Room Aesthetics, au cœur de Londres.

Dija Ayodele a créé un répertoire des professionnels de l’esthétique capables de prendre en charge les femmes à la carnation foncée. — © Dija Ayodele Handout

Dija Ayodele a créé un répertoire des professionnels de l’esthétique capables de prendre en charge les femmes à la carnation foncée. — © Dija Ayodele Handout

«Les peaux noires ont des besoins très spécifiques, détaille-t-elle. Il est par exemple crucial d’inclure dans leur régime de beauté un inhibiteur de la tyrosinase pour lutter contre les problèmes d’hyper-pigmentation, très fréquents dans cette catégorie de la population.» Trop souvent, les esthéticiennes ne savent pas comment traiter leurs clientes à peau foncée. Ou alors les produits ne sont pas adaptés. «Regardez les crèmes solaires, elles laissent des traces blanches sur les visages noirs, leur donnant un air fantomatique», dénonce Dija Ayodele.

Elle pense que cette situation est largement le reflet de l’absence de femmes de couleur dans les positions de pouvoir, dans les laboratoires des grandes marques, et même parmi les journalistes de mode. «Les femmes à peau foncée sont totalement exclues du débat sur les articles de beauté. Cela crée une spirale négative: on n’en sait pas assez sur leurs besoins, alors on met en vente des produits mal adaptés qu’elles n’achètent pas, ce qui donne l’impression qu’il n’y a pas de marché.»

Une étude réalisée par Nielsen, entreprise d’analyses marketing aux Etats-Unis, montre pourtant que les Afro-Américaines dépensent 7,9 milliards de dollars par an en produits esthétiques. La marque Fenty Beauty, lancée en 2017 par la chanteuse Rihanna, originaire des Caraïbes, a été la première à saisir ce potentiel. «Elle comprend 40 couleurs de fond de teint, dont de nombreuses teintes adaptées aux peaux foncées», décrit Jessica Thomas. Les premiers mois après son lancement, ses articles étaient systématiquement en rupture de stock.

Selon la maquilleuse professionnelle, «cela a créé un appel d’air et les autres marques se sont empressées de suivre le mouvement». MAC Cosmetics, NARS, Maybelline, CoverGirl, Bobbi Brown, Too Faced, Lancôme et Dior ont tous étendu leurs gammes de fonds de teint pour les rendre plus inclusives.

Lire aussi: Pour une diversité dans la définition de la beauté

Jamais mieux servi que par soi-même

«On a vu émerger aussi un nombre croissant de marques lancées par des femmes à la peau foncée qui en avaient marre d’attendre que les grands noms de la beauté s’intéressent à elles», relève LaPorchia Davis. C’est le cas d’Iman Cosmetics, LYS Beauty, Fashion Fair, Huda Beauty, Pat McGrath Labs ou encore Keys Soulcare.

Remi Oyenekan est l’une de ces entrepreneuses. «J’ai fondé ma propre marque de cosmétiques, Remsco, en 2019, après avoir passé une dizaine d’années à travailler comme maquilleuse», dit cette Britannique d’origine nigériane de 44 ans, qui opère depuis un studio rempli de pots de maquillage, de pinceaux et de prototypes d’éponges, dans un bâtiment industriel à Bermondsey au sud-est de Londres.

Pour promouvoir sa production, elle poste régulièrement des photos de ses créations à ses 18 500 followers sur Instagram. «Je compte aussi beaucoup sur les autres influenceurs, qui mettent en scène mes produits dans leurs tutoriels de maquillage, glisse-t-elle. Cela leur donne de la visibilité.»

Remi Oyenekan fait partie des entrepreneuses qui ont fondé leur propre marque de cosmétiques pour pallier un manque sur le marché. — © Remi Oyenekan / handout

Remi Oyenekan fait partie des entrepreneuses qui ont fondé leur propre marque de cosmétiques pour pallier un manque sur le marché. — © Remi Oyenekan / handout

L’émergence d’un écosystème fait de stars de l’influence et d’un public de fans dévoués a en effet transformé l’industrie de la beauté. «Nous avons désormais accès à une source d’information neutre et fiable, note LaPorchia Davis. Ces jeunes femmes, qui nous ressemblent, montrent dans leurs vidéos quels produits marchent sur les peaux foncées et lesquels ne marchent pas.»

Cela a aussi ouvert un canal de communication direct avec les marques. «Les influenceurs peuvent leur relayer les préoccupations de leurs followers et les informer lorsqu’un produit n’est pas à la hauteur», indique Dija Ayodele, qui est régulièrement consultée par des maisons de beauté.

Elle n’omet pas qu’il s’agit pourtant d’une épée à double tranchant: «Les membres de la génération Z, et davantage encore ceux de la génération Alpha, ont des exigences élevées quant aux produits qu’ils consomment. Lorsque ceux-ci ne sont pas à la hauteur, ils n’hésitent pas à les boycotter.» IT Cosmetics, Tarte Cosmetics et BeautyBlender en ont tous trois fait les frais récemment, lorsque les internautes ont jugé leurs nouvelles palettes de fonds de teint trop peu inclusives.

Lire aussi: Génération alpha: bienvenue dans le monde des futurs «millénials»

De même, lorsque la mannequin Megan Milan a posté une courte vidéo sur TikTok début septembre, la toile s’est enflammée. La modèle montrait un maquillage raté avec un fond de teint trop clair effectué durant la Fashion Week de New York, suivi d’un autre plan où on la voyait se remaquiller chez Sephora, en larmes. En l’espace de quelques jours, sa vidéo a été vue 12,7 millions de fois. Elle illustre l’urgence à faire basculer la tendance de la beauté, pour qu’elle s’adresse, vraiment, à tout le monde.

Source : https://www.letemps.ch/societe/cosmetiques-pour-peaux-noires-face-a-une-offre-limitee-les-influenceuses-se-creent-un-marche

Auteur :

Date de Publication : 2023-11-02 17:07:44

Le droit d’auteur pour le contenu syndiqué appartient à la source liée.

GoogleAds
Photo Video Mag
Logo
Compare items
  • Total (0)
Compare
0

1 2 3 4 5 6 7 8 .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .